Interview de Philippe Thomas
Directeur Scientifique du Mastère Spécialisé Finance de l'ESCP Europe

Interview Philippe Thomas - Directeur Scientifique du Mastère Spécialisé Finance - ESCP Europe

Nous avons le plaisir d’accueillir cette semaine sur notre blog Philippe Thomas, Directeur Scientifique du Mastère Spécialisé Finance de l’ESCP Europe. Philippe Thomas a bien voulu partager avec nous son regard d’expert sur le monde de la finance.

Qui est Philippe Thomas ?

ESCP Europe

Philippe Thomas a fait 10 ans d’études à l’université Paris-Dauphine. Il a obtenu un doctorat. A sa sortie de l’université, il n’a pas choisi la voie classique qui consistait à devenir professeur. Philippe Thomas a travaillé 11 ans en banque d’investissement dans le domaine des fusions-acquisitions. En parallèle, il a commencé à donner quelques cours à l'ESCP Europe.

Puis après avoir quitté la banque d’affaires, il est devenu directeur des fusions-acquisitions chez Reuters (Groupe de presse). Pendant cette période, il a eu l’opportunité de travailler 3 jours en entreprise et 2 jours à l’ESCP Europe. Au bout de quelques années, il a fait le choix de quitter Reuters et de devenir professeur à temps complet à l’école.

Au sein de l'ESCP Europe, Philippe Thomas est rapidement devenu Directeur Scientifique du Mastère Spécialisé Finance. Ce MS occupe depuis quelques années dans les classements internationaux, la 2ème ou 3ème place mondiale en Finance. Philippe Thomas enseigne 2 matières : les fusions-acquisitions (son domaine d’expertise) et l'ingénierie financière.

Philippe Thomas a écrit de nombreux ouvrages parmi lesquels un livre qui s'intitule "Principes de finance d'entreprise", paru à la Revue Banque éditions. C'est un livre qui présente la finance telle que les banques d'investissements la voit (son vocabulaire et ses process).

Il a écrit un second livre, "Fusions-acquisitions" qui sert également beaucoup aux jeunes étudiants qui veulent se spécialiser en fusions-acquisitions en banque d'investissement.

Et maintenant, place à l’interview.

Quels sont les aspects de la finance qui vous intéressent/passionnent le plus ?

Je suis tombé dedans tout petit !

Aujourd'hui nous sommes face à un nombre de fusions-acquisitions considérable. Quand on fait le total des fusions-acquisitions dans le monde, le nombre avoisine les 5 000 milliards de dollars, soit 6% du PIB mondial. La fusion-acquisition est la plus grosse activité financière.

Elle concerne les entreprises dans leur globalité : son organisation, ses dirigeants, sa stratégies, ses choix... Parfois ça marche, parfois on se trompe ! Des entreprises se développent, veulent en acheter une autre, il faut se bagarrer, lutter, faire face à la concurrence, trouver de l'argent, c’est compliqué et c'est ce qui me paraît passionnant.

Comme la fusion-acquisition touche tous les côtés de l'entreprise, si ça marche on le voit, si ça ne marche pas malheureusement on le voit aussi. Une acquisition de société va changer la vie de l'acheteur et de la cible également. On peut mesurer les faits et les stratégies : c’est concret, réel.

Ainsi, ces aspects à la fois financiers et opérationnels me fascinent et m'intéressent. J'ai pu le vivre de près dans le privé et c'est une chance aujourd’hui de pouvoir enseigner des domaines que j’ai pu pratiquer par le passé.

Aujourd’hui quels sont les métiers de la banque et de la finance les plus recherchés par les entreprises/structures ?

Le monde de la banque et de la finance couvre 4 types de domaines, qui vont relier des métiers très différents à des parcours et des profils différents. La segmentation classique est la suivante :

  • La Banque commerciale

C'est un secteur qui est aujourd'hui recruteur pour les jeunes car les banques font face à la pyramide des âges qui leur est très défavorable. Beaucoup de personnes partent à la retraite et les banques doivent profondément changer, au sein de leur réseau, les interlocuteurs dédiés aux entreprises. Un vrai renouvellement s’opère.

Les Métiers 

BNP, Crédit Agricole... toutes les grandes banques recrutent aujourd’hui des personnes pour gérer les relations entreprises dans des centres d'affaires.

La relation avec le client ne consiste pas uniquement à tenir son compte. Il faut accompagner le client, lui inventer de nouveaux produits.

Les formations

La Banque commerciale a élevé son niveau d'exigence. Les banques recrutent des jeunes diplômés ayant un Bac+5 en général, venant d’universités (formation en banque-finance-assurance) ou d'écoles de commerce de toute la France. Les débouchés sont importants.

 

  • Les entreprises et grands groupes

Les entreprises offrent des carrières dans la finance parce qu’elles ont désormais le choix dans leur financement : avant elles allaient à la banque, point final. Désormais, les marchés financiers sont ouverts, avec de la concurrence, ainsi les entreprises se dotent fortement en direction financière.

Dans les grands groupes, on observe un mouvement d’internalisation des fonctions financières pour moins dépendre des banques, des traders et des prestataires. Par exemple, le Groupe LVMH disposait avant de financiers et de bureaux d'affaires à qui il confiait ses opérations. LVMH s’est rendu compte que les coûts étaient très élevés et qu'il perdait beaucoup d'informations. Il a donc internalisé ses fonctions financières.

Les Métiers

Directeur financier, trésorier, chargé de financement, sont des métiers qu’on voyait peu historiquement. Dans les entreprises de taille moyenne, on recrute maintenant des directeurs financiers. C'est nouveau, avant c'était le comptable qui faisait tout !

Le métier de risk manager se développe aussi. Son rôle est de gérer les risques financiers de l’entreprise. Certaines grosses PME emploient des risk manager pour gérer le risque des prix (des matières premières par exemple).

Les formations

Les profils recherchés sont les Bac+5, venant de bons masters de finance dans de bonnes écoles ou de bonnes universités.

Dans les grands groupes, les recruteurs vont débaucher des professionnels qui travaillent dans des banques d'investissements. Un mouvement de transfert s'opère. Beaucoup d'anciens élèves de l'ESCP Europe qui ont été en banques d'investissement, passent au bout de 7-8 ans en corporate.

 

  • Les institutions 

Les institutions concernées sont celles qui vont être des régulateurs : La Banque Publique d'Investissement (BPI), Euronext, l'AMF. Elles recrutent énormément.

Du fait aussi des nouvelles régulations, les institutions ont de plus en plus de poids sur les marchés et offrent des débouchés intéressants aux jeunes gens.

Les métiers

On  retrouve les métier suivants : chargés d'études, chargés d'affaires, gestion des risques et suivi des régulations. L'AMF recherche par exemple des personnes qui sont dans la régulation et le contrôle.

Les formations

Les profils recherchés sont parfois des profils atypiques en finance : des étudiants en sciences politiques, des juristes avec des colorations financières, des étudiants venant de bonnes écoles plutôt parisiennes ou étrangères.

 

  • Les banques d'investissement

Voici quelques exemples de banques d’investissements : Goldman Sachs, Merrill Lynch, Lazard, Rothschild... La croissance est très importante dans ce domaine étant donné l'augmentation du nombre de fusions-acquisitions et d'introductions en bourse.

Les métiers

On trouve des métiers liés aux marchés financiers : Le sales (conseiller auprès des clients de la banque sur les marchés financiers), le trader (métier en voie de disparition) et le structureur (personne chargée de créer des produits dérivés à partir d’actions et d’obligations).

Les métiers liés à l’introduction en bourse ainsi que les métiers de la dette sont recherchés (métiers “d’analyst”) : le leveraged finance, le debt capital market (DCM) qui consiste à accompagner les entreprises qui veulent émettre des dettes sur les marchés financiers.

Les formations

Les recrutements sont extrêmement sélectifs. Les banques d'investissements vont recruter dans une vingtaine d'écoles (de commerce et d’ingénieur) et d’universités en Europe. Il faut donc viser des formations premium et des études longues.

 

  • Le conseil en banque/finance 

Plusieurs grands cabinets d’audit et de conseil ont maintenant des divisions conseil/finance pour conseiller des entreprises, des banques, ou des régulateurs : Ernst & Young, Lazard, PWC...

De manière assez transversale, au sein de l'audit, des métiers en banque/finance sont apparus. Des jeunes financiers peuvent ainsi exercer leur métier dans le conseil chez ces prestataires.

Quels sont les métiers émergents, les nouveaux métiers ?

Nous avons d'une part tous les métiers qui sont liés à la compliance, à la régulation, aux risques. C'est un axe fort avec toutes les régulations récentes.

D'autre part, tous les métiers de la “fintech” (technologie financière). Nous sommes face à une révolution technologique. Les banques courent après les métiers fintechs (l'innovation sur les processus).

Les fintechs consistent à prendre en charge certains maillons extrêmement techniques des métiers financiers :

- L’automatisation et la digitalisation des activités. Ça n'est pas sans conséquences sur l'emploi...

- L’invention de nouveaux business models. Par exemple, avant chez Lazard ou Rothschild lors d’une vente de sociétés, des professionnels cherchaient tous les acheteurs potentiels. Le travail était long avec une production fascinante. Aujourd'hui, des fintechs font ça automatiquement, des moteurs de recherches extrêmement astucieux pré-qualifient des listes d'acheteurs potentiels.

Les compétences recherchées dans les fintechs sont des compétences techniques avec une coloration financière : être un bon informaticien, un bon marketeur, mais avoir une vraie connaissance du métier de la finance.

 

Banque et finance

Pour un jeune souhaitant s’orienter vers les métiers de la banque et de la finance, quelles compétences clés leur conseilleriez-vous de développer ?

Pour faire de la banque et de la finance il faut tout d'abord avoir une bonne culture économique.

eIl est important de comprendre comment marche l'économie pour être un bon financier : les marchés, les taux de change...

Deuxième chose, il faut un goût prononcé pour les mathématiques 

La finance s'est beaucoup formalisée, sans doute excessivement. Il ne faut pas être un matheux pur, mais il faut avoir une appétence pour les mathématiques.

Troisième règle d'or, il faut parler extrêmement bien anglais.

On ne dira jamais assez aux lycéens à quel point l'anglais compte. Aujourd'hui, la banque et la finance sont globalisées, ce sont des univers internationaux et parfois la différence se fait sur des langages. A l'ESCP Europe on insiste beaucoup sur le caractère bilingue voire trilingue dans les recrutements.

Quatrième qualité, il faut une grosse capacité de travail.

Je dis souvent à mes étudiants, la finance ça s'apprend. C'est technique et très sophistiqué. Il faut être capable d'absorber. Les personnes qui ont fait une classe préparatoire savent ce que c'est que de travailler dur.

Il faut aussi savoir communiquer, car il va falloir négocier. 

La majorité des métiers sont des métiers de contacts, d'échanges. Il faut être capable de montrer qu’on a des compétences, d'avoir de l'échange, de l'empathie. Cette dimension est souvent sous-estimée.

Quand on observe des recrutements en banques d'investissements à Londres, dans les fameux summer internship, ce qui compte c’est le “fit”. La première question que se pose le recruteur est : "Est-ce que je vais pouvoir travailler 10h avec cette personne ? ".

Être à l'aise demande un gros travail sur soi, mais si on l’est, on a tout pour réussir.

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre MS Finance ESCP Europe ?

Le MS Finance de l'ESCP Europe compte environ 75 élèves, 50% de français et 50% d'étrangers. Le taux de sélection à l’entrée est assez fort.

Il important d’avoir une promotion cohérente avec un esprit de classe. Les étudiants se connaissent à peu près tous.

Dans le MS, nous avons 85% d’étudiants qui ont déjà fait de la finance et 15% de néophytes.

Ceux qui ont déjà fait de la finance viennent de bonnes écoles de commerce françaises ou étrangères, de bonnes universités dans toute la France et écoles d'ingénieurs.

Beaucoup de ces étudiants ont déjà réalisé des stages dans des banques françaises ou étrangères. Ils ont en moyenne à l'entrée en MS 8 mois de stages en finance.

Concernant les 15% de néophytes, ils compensent par une envie incroyable et une ambition. Ils viennent de Sciences Po par exemple. Certains sont avocats, juristes. D’autre ont des profils plus atypiques, comme des vétérinaire, médecin, pharmacien. Ce sont des personnes qui cherchent la double compétence. Le marché de l'emploi va rechercher ce type de profils, mais dans des proportions limitées.

Le programme est très court puisqu'ils sont à l'école 30 semaines seulement, 15 semaines entre septembre et décembre au campus de Paris, et 15 semaines entre janvier et avril au campus de Londres.

Les cours sont 30% en français et 70% en anglais. Nous préférons garder une partie en français, parce que c'est important et les étrangers font l'effort.

Le format est assez intensif comme en classes préparatoires, les élèves ont en 30 semaines, 540 heures de cours ! Nous avons conservé le full time intensive car à la base nous formons des techniciens en finance.

Nos élèves arrivent en septembre, ils ont un tronc commun de 6-7 semaines pour voir toutes les bases. Pendant ces semaines on revoit tous les grands champs de la finance et au mois de novembre ils choisissent une spécialisation, soit en banque d'affaires, soit en marché financier.

40% des cours sont réalisés par des anciens du MS. Certains ont 10 ans d'expérience, ils viennent apporter le complément pratique à la théorie.

Il existe 2 grands systèmes pour les stages :

- Les summers internships, le fameux sésame à Londres, un stage de 2 mois qui débouche sur un graduate, un stage de pré-embauche (23 étudiants cette année).

- Les stages “en off cycle”, de 6 mois à Londres, ou à Paris, très souvent un stage de pré-embauche (2 fois sur 3).

Mot de la fin : quels conseils donneriez-vous à un lycéen qui veut s’orienter dans ce domaine ?

Je vais paraître « vieux prof », tout d'abord au lycée, il faut travailler ! En finance, nous allons regarder les parcours des étudiants et on va remonter jusqu'aux notes au lycée. Le bac est important, les notes et la mention au bac vont être un levier considérable. Il faut aussi bien travailler l’anglais dès le lycée.

Deuxième point, il faut se renseigner très tôt sur les métiers. Les lycéens ne comprennent pas à quel point les choix sont déterministes. Les recruteurs dans le monde de la finance regardent d'où vient l'envie, quand est-ce que cela s'est produit, est-ce que les études sont sur un axe cohérent ou pas. Plus on aura un parcours académique construit, avec un thème économie/finance, plus le recrutement sera facile.

Un raté dans l'orientation peut être catastrophique, parce qu'un jeune qui a du talent, qui est bon, s'il ne sait pas, il n'y arrivera pas. Dans les lycées, hélas, on n’explique pas assez tôt les filières et les métiers aux élèves. Les professeurs ne peuvent pas tout connaître ! Les parents ne connaissent pas non plus toujours tout. ¾ de nos étudiants ont des parents cadres dans la finance ! C'est dommage, la barrière sociale est importante.

Troisième point, les stages, les jobs d'été ont un sens. Quand on voit arriver dans les concours, dans les recrutements, des jeunes gens qui ont fait un stage de vente ou dans une banque, ça veut dire que 1, ils ont eu de l'énergie pour entreprendre, et 2 ils ont une petite expérience, ils vont pouvoir en tirer quelque chose.

En conclusion, pourquoi y-a-t-il autant de français en finance à travers le monde ? Premièrement, parce que nos études sont lourdes, stressantes, nous ne perdons pas de temps. Deuxièmement, nos écoles sont bonnes techniquement. Si vous prenez le classement de référence du Financial Times, sur les 8 premiers MS finance, 6 sont français. Le marché mondial nous reconnaît notre capacité à former des jeunes gens de haut niveau.

 

Merci à Philippe Thomas d’avoir accepté notre invitation et pour le temps consacré.

 

Lien pour en savoir plus : Mastère Spécialisé Finance ESCP Europe 

 

 

Publié par Recto Versoi le 23/05/2018